Tyrannicide – Giulio Minghini

 tyrannicide   Quel curieux petit objet que cette lettre publiée dans la collection des Affranchis chez Nil. Tyrannicide c’est la lettre de colère, de dépit écrite par un homme qui n’a de cesse de vouloir faire publier son roman, sans cesse remanié et refusé, dans la collection Blanche de Gallimard. Cette lettre, il l’écrit à Philippe Sollers en tant qu’éditeur de la collection (même si dans les faits, il s’occupe de la collection « L’infini » oui, oui, il paraît que la confusion agace alors je fais attention).

    Revenons à Gérard Joyau, cet enseignant de lettres qui comme tous ses congénères rêve d’écrire plutôt que de corriger des copies au bic rouge toute sa vie. Il porte au final un double message. D’un côté, il critique les rouages obscurs de l’édition qui fait qu’on se demande parfois pourquoi tel livre a été publié et non un autre. Gérard, lui, le sait… Les éditeurs ne lisent pas les manuscrits et ne publient que ceux qui ont été pistonnés. Voilà les seules raisons justifiant, selon l’écrivaillon, le fait de ne l’avoir pas été, puisque son roman est sans aucun doute, la révélation littéraire de son temps. Pensez bien… une brique plus qu’un roman puisqu’affichant un nombre affolant de pages, racontant une histoire sans queue ni tête, révélant surtout les problèmes de la relation à la mère (mais au père aussi) de cet apprenti écrivain, décidément fort tourmenté.

    Ainsi le lecteur de Tyrannicide (lequel, me direz-vous… celui que l’on tient entre les mains ou celui de Joyau (ou celui de Léopold? ) ?), après avoir conspué sur le compte de tous les méchants éditeurs qui se prennent pour des gens supérieurs accordant ou non droit de vie aux chefs-d’oeuvre méconnus qui ne paraissent jamais, va se prendre dans les dents une autre réalité… N’est pas écrivain qui veut. Et toute l’explication sur les méthodes (il faut voir ce qu’il entreprend pour prouver que son manuscrit n’a pas été lu) et sur le contenu du roman de Joyau donnent envie de rire aux larmes. En effet, il y croit, à son talent, notre Gérard. Et plus la lettre avance et plus on remercie Sollers (enfin, surtout la figure d’éditeur qu’il représente) de ne pas publier trop souvent ce genre de roman imbuvable. D’ailleurs, son choix de ne pas publier Nothomb en 1992 me fait dire que ce Sollers est décidément un homme de goût. Voilà qui me donnerait… presque… envie de le lire.

    Nous vivons une période où tout écrivain qui n’a pas été publié par ce qu’on appelle un « grand éditeur » a désormais tout un tas de moyens de nous polluer de ses croûtes révéler son talent au monde : l’auto-édition, qu’elle soit papier ou numérique. De là, il va pouvoir solliciter tous ses amis afin que ces derniers achètent leur oeuvre, espérant créer le buzz. Ils vont également polluer les boîtes mails des blogueurs, leur proposant de leur envoyer gratuitement leur oeuvre contre critique, soit même de le leur vendre. Ainsi, le soit-disant auteur pense pouvoir être également son propre éditeur-attaché de presse.

    Cela marche-t-il ? Comme dans Tyrannicide, l’apprenti-écrivain est susceptible. Quand Sollers répond enfin de manière circonstanciée à Joyau, ce dernier continue à nier que son roman n’est pas publiable. Mieux on explique aux gens et moins ils comprennent. Je vous fais grâce de toute la réflexion autour de ce que suggère le choix d’un tel nom pour un personnage et de tout ce qu’il connote.

    Petit exemple, sur les quelques auteurs que j’ai accepté de lire après sollicitation directe, une seule m’a envoyé un roman que j’ai aimé lire et  je continue à lire avec beaucoup de gourmandise, tout ce qu’elle a publié depuis. Les rares fois où j’ai émis des réserves, j’ai été enquiquinée par l’auteur (ou ses fans imaginaires) me demandant pour qui je me prenais et quelle légitimité j’avais pour donner mon avis… Poin poin poin… Qui me l’a demandé en m’envoyant sa daube ? Un d’entre eux m’a même envoyé un deuxième ouvrage, en se faisant passer pour une fan outrée, voulant à tout prix me faire découvrir l’auteur merveilleux que, bla bla bla… Sauf que, monsieur l’auteur avait une écriture manuscrite tellement particulière que j’ai reconnu sa calligraphie sur l’enveloppe de la mystérieuse fan… J’en ris encore. Je vous laisse imaginer où a fini ce livre…

    Désormais, je ne réponds même plus à toutes ces sollicitations. Au départ, j’étais polie et disais ne pas avoir le temps et souhaiter plein de chance à l’oeuvre proposée. Après plusieurs contre-réponses aigries, hystériques ou impolies, j’ai cessé carrément de répondre. Les gens, plus vous leur expliquez, moins ils comprennent. Et je ne suis pas sur Terre pour perdre mon temps à lire tous ceux qui n’ont pas pu être publiés. La folie d’internet donne d’ailleurs parfois envie de ne plus lire que des auteurs morts et enterrés… les seuls à ne pas venir vous faire suer quand vous n’avez pas aimé leur prose…

    Revenons-en à Minghini qui lui, a été publié. Ce petit texte est très réussi et mérité qu’on en parle. Si le personnage de Joyau est épouvantablement agaçant, la construction de ce petit texte est vraiment savoureuse. Minghini écrit au-delà du second degré et c’est jouissif quand on réfléchit à sa lecture a posteriori. Il se joue des codes, du politiquement correct (c’est culotté tout de même de s’attaquer à Sollers, même si c’est en tant que figure emblématique qu’il le fait selon moi) et en donne à tout le monde pour son propre grade, éditeurs et aspirants écrivains. Le livre est construit sur une vertigineuse mise en abyme puisque Mignhini écrit Tyrannicide, dans lequel Joyau écrit un Tyrannicide qu’il ne parvient à faire publier et dans lequel le personnage principal écrit aussi son Tyrannicide (et finit par zigouiller Sollers). Cette lettre est truffée d’ironie, de réflexions complètement décalées qui montrent que l’auteur (mais de qui parle-t-on là ?), Minghini bien sûr, a un sacré talent dans le brouillage des pistes mais également dans l’ironie. Et qui sait… peut-être dans l’auto-dérision… car où est la part de Minghini dans tout cela ?

    Ah oui, j’allais oublier… Philippe Sollers s’appelle en fait Philippe Joyaux… et là, on savoure encore un petit cran au-dessus de la connivence que l’auteur a cherché à créer avec son lecteur. Bravo !

    Filez vite voir chez Noukette ce qu’elle en a pensé puisque je partage cette lecture avec elle aujourd’hui. Et retrouvez également les avis de Leiloona, L’Irrégulière, Asphodèle, Martine et George.

 

34 réflexions au sujet de “Tyrannicide – Giulio Minghini”

  1. Un vrai régal car mister Minghini joue sur plusieurs niveaux, et le fait avec talent. Jouissif ? Vraiment oui. Tout le monde en prend plein la figure, mais de façon tellement subtile …

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  2. Excellent ! Je n’ai pas osé fustiger les apprentis-auteurs comme tu le fais (mouarf, j’aurais pu en fait…) mais après m’être demandé sur quel sorte d’OVNI j’avais bien pu tomber, je l’ai dégusté à petites lampées ! 😉

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  3. Ton article est celui de Noukette se complètent à merveille ; j’avais entendu parler de ce titre mais l’article que j’avais lu insistait plus sur le côté règlement de compte personnel, alors que c’est la mise en abyme qui semble intéressante ! Ca m’a l’air excellent en tout cas.
    Et merci pour la mise en garde concernant les auto-édités, je saurai m’en souvenir si l’un d’entre eux me sollicite…

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  4. Les auto-édités sont trop souvent une plaie … je fais comme toi, je ne réponds plus. C’est en plus, nous investir d’une importance que nous n’avons pas. Ceci dit, il me tente ce petit bouquin, il en faut du talent pour les mises en abîme réussies.

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  5. Que voilà un ouvrage qui m’a l’air intéressant! Je vais garder son titre en mémoire. Cela me rappelle plus d’un roman mettant en scène des auteurs cherchant désespérément à se faire publier.

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  6. Excellent ton billet !
    Et très juste sur la partie blogueurs. Très délicat de chroniquer un livre envoyé par l’auteur. Je préfère aussi m’abstenir.

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    • Merci Sylire 😉
      Pour les auteurs, je pense que justement ce qu’il leur manque et qui est tout le chemin quand tu te fais éditer, c’est de comprendre qu’une fois dans les mains des lecteurs, ton roman ne t’appartient plus.

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  7. aaaah un livre gigogne j’adore :-)pour la part blogueur, j’en reçoit de plus en plus aussi et je ne réponds jamais… je SAIS que je ne lirai pas (déjà que je manque de temps pour lire ce dont j’ai très réellement envie) je blogue pour le plaisir, si j’étais éditeuuuuse lààààà… 😉

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  8. La collection étant gage de qualité, avec en plus un sujet très vendeur pour nous autres blogueurs, je ne peux qu’avoir envie de lire cette lettre !

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