© Julien Ribot
Ma 112e participation à l’atelier de Leiloona
Un seul « non » devrait suffire
Depuis ce coup de fil, Ruy tournait ces mots en boucle dans sa tête. « Je t’ai dit NON. A plusieurs reprises. Mais tu n’en as pas tenu compte. » Voilà deux ans qu’il l’avait vue, deux ans pendant lesquels, elle n’avait pris aucun de ces appels. Jusqu’à ce matin-là.
Il connaissait Delphine depuis plus de vingt ans. Leur première rencontre avait eu lieu pendant une soirée, ils avaient la vingtaine. Des amis les avaient présentés. Ils étaient jeunes et beaux. Ils s’étaient plu au premier regard. Habitant encore tous les deux chez leurs parents respectifs, pas un sou en poche, ils s’étaient étreints sur le capot de sa voiture. Et cet été-là, ils avaient recommencé partout où ils pouvaient trouver un peu d’intimité. Delphine était une fille libérée, qui ne s’embarrassait pas des détails. Il l’avait aimée. Au premier regard.
Mais l’été s’était fini et Ruy faisait ses études à l’autre bout de la France. Une grande école de commerce, un bel avenir tout tracé. Delphine était inscrite en histoire des arts. Elle vivait de bohème et de petits boulots, toujours un crayon à la main, un carnet dans son sac. Ils s’étaient appelés souvent mais la distance avait eu raison de leur idylle naissante.
Néanmoins, ils avaient toujours gardé contact. S’étaient revus parfois. S’étaient étreints, le plus souvent. A chaque grosse étape de leurs vies respectives, ils s’étaient retrouvés. Capables de traverser la France entière pour se retrouver quelques heures.
Depuis que la vie les avait placés dans la même région, ils se voyaient à peine. Etrange relation qu’était la leur. Pudeur ? Volonté de ne pas briser un lien qui n’existait que dans l’absence de l’autre ?
Ruy était marié. Delphine, séparée, mais un peu toujours entre deux liaisons. Un jour, il avait reçu un message : « J’ai besoin de te parler. Tu es le seul à pouvoir me répondre. » Il était son meilleur ami, après tout.
Elle était toujours aussi belle. Quelques rides en plus, certes. Des hanches plus larges… et tant mieux, après tout. Delphine était en pleurs, mais toujours la même.
Elle se demandait pourquoi les hommes qu’elle fréquentait semblaient n’en avoir qu’après son corps. Ne pouvait-elle pas être une femme libre sans que l’on considère qu’elle était une femme facile ? Parce que « facile », ça non, elle ne l’était pas. Elle était même plutôt compliquée, d’ailleurs… Alors Ruy avait tenté de la consoler, de lui expliquer, de lui dire que de son côté, il ne l’avait jamais oubliée. Il la serrait dans ses bras, elle semblait si fragile.
Mais ça ne l’avait pas tout de suite apaisée, elle avait enchaîné des questions. Et il n’avais pas toujours les réponses « Et toi, pourquoi tu ne m’as rien proposé si tu m’aimes autant que tu le dis ? », « D’ailleurs, ta femme, tu ne me l’as jamais présentée… » Trop de questions… et cette peau contre la sienne.
Alors il l’avait embrassée doucement. Elle n’avait rien dit. Enhardi, il l’avait embrassée plus franchement. « Ruy, non, s’il te plaît ». Il savait que ça allait lui faire du bien. Les caresses avaient suivi » Arrête, en plus tu es marié » Sauf qu’entre eux, c’était différent. Alors il avait insisté et ils avaient fait l’amour. Une seule fois. Elle était pressée, elle avait un rendez-vous.
« Non Ruy, je n’avais aucun rendez-vous. Je voulais juste que tu partes. Je n’ai cessé de te dire non. Mais tu avais toujours quelque chose à rajouter. Tu étais dans ton désir, seul, et tu as voulu te persuader que je me faisais prier. Pourtant, je t’ai dit non, je t’ai repoussé. Alors de guerre lasse, j’ai cédé. Pour que tu t’en ailles plus vite. »
Messieurs, quand on vous dit non, c’est non !
Oh Stéphie c’est tellement vrai… Pourquoi ce non est-il si différent selon qu’on soit un homme ou une femme ?
Je me pencherai un jour aussi sur le non masculin car il existe aussi
Oui, c’est ce qu’il manquait dans mon commentaire, j’y ai pensé … trop tard !
La spontanéité est intéressante 😉
Olalalala … mais c’est quoi cette histoire ! Je ne comprends pas (en fait). Leur lien est fort, non, puisqu’ils se sont suivis toute leur vie, se sont étreints souvent et ont fait des km pour se retrouver ? Alors je ne comprends pas cette fin toute en force et vilaine (où l’homme passe pour un gros salaud). Beaucoup trop de non dits … (Je ne partage donc pas le commentaire de Manue, non ce ne sont pas les hommes contre les femmes, mais deux entités qui n’arrivent pas à bien communiquer. Sans rapport avec leur sexe. En gros y a « pourquoi n’a-t-il pas arrêté à ses non, mais y a aussi « pourquoi elle ne lui a pas parlé ? »
Bref, je crois que tu ne seras pas d’accord avec moi. Mais c’est dommage, je trouve, de ramener ça à une dichotomie entre les hommes et les femmes. Pour moi il s’agit plutôt d’un problème de non dits larvés.
C’est le point de vue de l’homme. Qui dit qu’elle n’a pas expliqué ? A-t-il entendu ? Et tu as le droit d’être d’accord ou non… C’est un texte, pas une vérité.
Oui, oui, c’est ma réaction face à un texte, pas une vérité. (la vérité, de toute façon, elle change selon les uns et les autres ! 🙂 ) Je déplorais la violence de la fin en comparaison du lien fort entre les deux. Comme du gâchis, quoi.
Ou une relecture des relations humaines. Tant que tu dis « oui », tout va bien. Mais as-tu le droit de dire « non ». Ta réflexion me donnerait presque à penser que le viol conjugal non plus n’existe pas.
Beuh je n’ai jamais dit ça (et ton texte n’en parle pas). Le viol conjugal est d’un autre ordre et d’un autre niveau que la situation du texte écrit, non ?
😮
Oui, mais le « non » peut ne pas être entendu. C’est tout ce que j’ai voulu écrire.
Bien sûr que ça n’est pas les hommes contre les femmes … C’est un peu rapide je te l’accorde Leil.
Mais le texte appelle beaucoup de questionnements : pourquoi souvent un non-dit larvé n’est pas entendu ? Pourquoi un non-dit aboutit souvent quand même à un rapport ? Pourquoi les femmes prennent-elles la décision de se laisser faire pour être débarrassées au lieu de lutter ? Dans quelle mesure le partenaire (homme ou femme) ne force pas l’autre ? Dans quelle mesure le partenaire ne se sent-il pas violé dans son intimité alors que l’autre ne voit pas forcément la force de son acte ? Dans quelle mesure le « non » pas entendu/mal entendu n’aboutit pas à un acte de violence qui ne sera jamais dénoncé parce que de toute façon ce type de violence est tellement mal vécu par la victime que souvent il reste silencieux.
Et puis un « non » même dans un couple qui a une belle histoire reste un non. Et le refus d’entendre ce non est quand même violent …
Le texte ne parle pas de tout ça mais il ouvre tellement de portes que j’y ai vu tout ça …
Merci Manue, tu as parfaitement lu ce que sous-tendait mon texte 😉
Stéphie, ton teasing hier sur ton mur m’a poussé à me précipiter sur ton texte ce jour 😉 ROoooo, oui je sais, je tombe dans tous les bons buzz 😉
Alors, j’ai beaucoup aimé ton texte et la description de cette relation somme toute « compliquée » (c’est le seul adjectif qui me vient à l’esprit) entre ces 2 êtres, ou peut être en effet comme le dit si bien alex, une « mauvaise » communication… Je peux comprendre l’un et l’autre, lui et elle dans cette « pulsion » qui les dépasse et qu’ils n’arrivent pas à stabiliser ; d’ailleurs « Depuis que la vie les avait placés dans la même région, ils se voyaient à peine. » : c’est étrange tout de même mais bon le coeur et ses raisons…
En revanche, la chute, je ne la comprends pas du tout… sans jugement aucun… mais si elle est une femme libre, pourquoi céder et s’enfuir en prétextant je ne sais quoi ? Si elle cède (et là il n’y a aucune utilisation de forces, de contraintes et ça a l’air même agréable), pourquoi en vouloir aux hommes qui ne comprendraient pas un non ? Là j’avoue que quelque chose m’échappe. J’ai lu les échanges de Manue et Alex avec beaucoup d’intérêt (c’est vraiment le plus de cet atelier avec les débriefs des lectures après et nos ressentis 😉 ) mais ne saisis pas la substantifique moelle que Manue a tenté d’expliquer…
En résumé, passionnante ma lecture de ton texte et des questions engendrées ! Merci
Je ne comprends pas le rapport avec mon statut d’hier…
Ensuite, elle a dit « non », plusieurs fois. Et elle a cédé car elle n’a pas eu d’autre choix, en fait. Il n’entendait pas le « non » car elle ne l’avait jamais dit avant. Elle a commencé par justifier, pensant que ça aiderait à passer. Mais il n’a pas entendu. Alors elle a préféré céder que de risquer plus de violence. Car il aurait pris ce qu’il voulait.
sur ton mur FB tu écrivais que tu avais trouvé une idée de texte coquin… ou du moins c’est ce que j’ai cru comprendre alors j’ai vite filé lire ton histoire hihihi mais bon pas grave, c’était juste une intro à mon commentaire de retour…
Merci pour l’explication, je trouve toujours intéressant de sortir de ma bulle et comprendre celles des autres 😉
Oui, on va sans doute trop vite, sur FB et ailleurs…
Je n’ai pas compris. C’est l’homme qui parle au cygne ?
mdr… je ne l’avais pas vu sous cet angle non plus… bon, vais retourner dans ma bulle car vais finir par ne plus savoir où j’habite bientôt…. lol
Je crois que je viens de comprendre: rien à voir avec la photo en fait, c’est un leurre. Ce texte est une métaphore du livre de Victor Hugo : Ruy Blesse.
Non ce texte n’était pas un leurre. Un besoin d’exprimer un truc… je me suis juste trompé de support et me suis pris tous vos commentaires de plein fouet. Là où… mais soit… de l’importance de ne jamais se dévoiler dans ses écrits.
Au moins cela m’aura permis de régler certaines choses depuis.
Mais j’ignore si je pourrai reprendre le chemin de cet atelier… Deux mois que je n’y parviens pas
Etrange de relire ces commentaires deux mois après
Il y avait un petit souci narratif, je pense. Un passage incontrôlé du « je » au « il »
Je pense l’avoir corrigé
Je ne comprends pourquoi la fin choque. Je ne connais pas le pourcentage de femmes qui ont cédé au moins une fois pas par envie, mais juste pour ne pas provoquer de conflit. A mon avis, il doit être effarant.
Merci Elora.
Ton texte que je n’avais pas encore lu raisonne très fort en moi et mon billet d’aujourd’hui sur mon blog pourrait avoir la même fin
Raisonne… Résonne…
Ce n’est pas si loin, parfois 🙂
Merci pour ton commentaire 😉
Un texte qui évoque la complexité du « non » qu’il soit féminin ou masculin. Je trouve le thème vraiment intéressant. Le format atelier, nécessairement court, ne te permet pas de le développer pleinement. Une nouvelle avec les mêmes personnages amènerait des nuances sur ce sujet qui te tient à cœur.
Ou un passage d’un roman, qui sait ?
c’est tout à fait juste! lorsque tu dis non, le mec fait comme si c’était « oui » dans la majorité des cas, qu’il soit un copain occasionnel, ton nouvel ami, ou ton compagnon depuis un certain temps. Et c »est un gros problème.
On a encore du mal à faire valoir notre liberté sur notre propre corps
C’est un beau texte. Je comprends tout à fait la réaction de la femme, et je pense que ça doit être fréquent : céder de guerre lasse, pour ne pas avoir besoin de discuter. Qu’on soit une femme ou un homme d’ailleurs. Une situation un peu similaire m’est arrivée, mais pas avec un homme, avec une femme… C’était aussi de ma faute d’ailleurs, j’avais laissé notre relation se détériorer parce que je n’arrivais pas à rompre. Finalement, après une violente dispute (et c’est moi qui ai été violente, physiquement), on a rompu… Et on est resté amies parce qu’on a pu discuter de tout ça au calme.
En effet, ce n’est pas toujours facile de se dire les choses sereinement.
Merci pour ton commentaire, vraiment.