Une photo, quelques mots (93)

la-palmyre

© Leiloona

    Le temps perdu ne se rattrape jamais. On vit avec des chimères, on avance avec nos fantômes, on traîne nos fers avec ténacité.

    Soazig avait voulu l’emmener ici. Son bout du monde à elle. Elle avait voulu lui raconter enfin, après toutes ces années, ce qu’il avait raté, ce qu’il leur avait ôté.

    Elle réalise qu’ils ne savent rien l’un de l’autre, qu’ils n’existent pas vraiment, en fait. Même pas une seule petite photo d’eux deux. C’est tout dire.

    Des années de liaison, certes. Des confidences comme jamais, c’est vrai. Mais il n’a jamais su de quelle couleur sont les yeux de son amante lorsqu’ils s’ouvrent sur le monde, au réveil. Il n’a jamais su quel petit rituel, elle met en place chaque soir pour trouver le sommeil, sans lui. Il ne savait pas jusqu’à ce moment précis où elle allait se réfugier avec ses pleurs et ses soucis.

    L’océan qui absorbe tout, qui nettoie tout.

    Elle lui a demandé d’y aller seul, d’aller toucher l’eau et de tenter de communier à son tour avec les éléments. Elle a besoin de le voir là-bas, à son endroit à elle. Seul à son tour. Sans elle, justement.

    Ensuite, elle pourra lui dire. Tout. Pourquoi elle a fui. Comment elle a porté son enfant. Comment la vie le lui a refusé, ça aussi. Comment elle n’a jamais pu en désirer un autre. D’un autre. Comment son coeur, ce jour-là, s’est flétri pour ne plus refleurir.

    Ou alors, elle ne le lui dira pas.

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18 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (93)”

  1. J’ai adoré ton texte, tout simplement ! Cette suite d’histoire est pleine de rebondissements ! Encore ! Encore ! belle journée à toi

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  2. c’est très beau, un texte plein de mélancolie et de poésie. J’aime particulièrement la première phrase. Bravo.
    PS : seul le dernier « qui sait… » mériterait d’être plus percutant. ou n’apporte pas grand chose.

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    • Merci pour ce commentaire constructif. Je vais y réfléchir. D’autant que je ne voulais pas le mettre au début. Que je l’ai rajouté, enlevé, remis… C’est un signe 🙂

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  3. Très jolie façon de clore une histoire en la laissant ouverte…..Ce sont celles que je préfère…

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  4. Très joli texte, chargé de nostalgie … On sent la femme à bout de force, mais sans être résignée non plus, un mélange étonnant … J’ai aussi aimé les images du premier paragraphe, et le rythme long / court de ce texte. Oui, très joli … J’aurais bien vu la femme partir alors qu’il est au loin : à quoi bon qu’il revienne finalement, puisque ce n’est jamais un réel retour …

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  5. C’est marrant, je sens la nostalgie, oui, mais par contre je la sens justement forte, sereine aussi. C’est ce que j’aime dans le personnage d’ailleurs. Le 4ème paragraphe est très beau.

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    • Merci Sabine de ta lecture. Je pense toutefois que je dois laisser ce personnage vivre sa vie de papier désormais. Loin de moi.

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  6. Ton texte est très touchant, Stéphie. Et puissant.
    J’ai de la tendresse pour ton personnage, les blessures que lui a infligées la vie et sa façon d’y faire face. Et comme Leil, je la vois bien tourner les talons, et le planter là. Le pouvoir apaisant de l’océan.
    J’aime les images que tu emploies, tout en pudeur.
    Bises!

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    • Il faut du temps parfois. Et quand on a tourné les talons une première fois, c’est plus difficile de le faire une seconde fois, j’imagine.

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    • Je t’avoue que j’aime les écrire mais qu’ensuite j’ai toujours peur d’avoir été larmoyante et chiante. L’écriture me sert souvent à évacuer des choses. Et je tourne en rond avec mon texte pour demain d’ailleurs… 🙁

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