Foutre le camp – Une photo, quelques mots

foutre
© Rishi Deep

« Foutre le camp »

Ma 120e participation à l’atelier

« Une photo, quelques mots »,

initié par Leiloona

    Vous direz peut-être que ce n’est pas très malin, que ma mère va pleurer toutes les larmes de son corps. Et vous aurez raison. Sauf que je ne veux pas y retourner. Juste foutre le camp.

    On dit de moi que je suis un garçon taiseux. C’est vrai, je parle peu. Seulement quand j’y suis obligé. Mais pour dire quoi au fait ? « Si c’est pour mal parler, autant te taire… » Oui, il paraît que c’est l’encouragement que j’ai reçu de mon père lorsque je balbutiais mes premières phrases. Possible que ça ait joué. Je ne m’en rappelle plus. Mais ça ne m’étonnerait pas que ça ce soit ancré quelque part, tout au fond. Expliquant un peu cette sensation que j’ai de ne rien avoir à dire. Rien qui puisse intéresser les autres en fait.

    Ce n’est pas que je ne pense rien. Au contraire. Ca cogite à fond les ballons dans mon petit crâne. Peut-être trop d’ailleurs. Parce que parfois, ça m’empêche d’oser. Le temps de me demander si c’est une bonne idée, je ne suis déjà plus dans le timing. Alors on pense que je suis lent, que je ne suis pas très malin. Non, en vrai, je suis pété de trouille. Tout le temps. Avec tout le monde. Les filles, mon coach. Il n’y a qu’une balle dans la main que je me sens bien. Mais même là, il y a des décisions à prendre. Et souvent, je ne les prends pas de peur de me planter.

    Ouais, ben, on ne se casse pas juste parce qu’on est réservé et indécis… c’est vrai. Mais comme je n’arrive pas à faire entendre ma voix, mon père pense qu’il peut décider pour moi.

    D’habitude, je ne dis rien. Je serre les dents. Après tout, deux week-ends par mois et la moitié des vacances… ça passe vite… Sauf que là, il est allé trop loin. Et pour la première fois, je l’ai détesté. Une colère sourde au fond de moi, un dégoût même. C’est moche, on n’a pas le droit de ressentir ça pour son père. Ouais, enfin, a-t-on vraiment le droit de nier ainsi son enfant ?

   Des mois que je laisse pousser mes cheveux, que je les soigne. Tout ça dans le but d’une coupe bien précise. Ca ne plaisait pas spécialement à ma mère, mais elle a laissé faire. Je ne suis pas un môme pénible alors en général, quand j’ai envie d’un truc, elle valide. Alors, quand mes cheveux ont enfin été assez longs, ma mère m’a emmené chez le coiffeur afro du coin. Et en sortant, je me suis vraiment senti bien.

    Mais quand je me suis rendu chez mon père, il y a deux semaines, il a détesté. Et sans un mot, debout, droit comme un I, sans me demander mon avis, il a passé la tondeuse sur ma tête. Niant mon intimité, niant mon corps, niant ce que je suis. « Pourquoi n’as-tu rien dit ? », a demandé ma mère. Mais allez-y, vous, dire quelque chose à mon père. Même elle, il ne l’a pas laissée parler. Et pourtant, elle fait de son mieux, elle me soutient.

    J’aurais pu, cette semaine, lui dire que je ne voulais pas y aller. Mais m’aurait-on enfin écouté ? Aurait-on accordé du crédit à celui qu’on a tondu. Comme un mouton, comme un criminel. Alors je vais foutre le camp. Pas trop longtemps hein. Mais juste pour qu’on accorde enfin un peu d’intérêt à ce que je pourrais avoir à dire.

22 réflexions au sujet de “Foutre le camp – Une photo, quelques mots”

  1. Ma belle, tu devrais faire lire ça au concerné.
    Tu exprimes très bien ce qu’il peut ressentir.
    Je vous embrasse tous les deux.

    Répondre
  2. J’ai lu Stephie… et je t’envoie tout mon amour. Ton fils il trouvera sa voie (voix ? ) et je suis sûre qu’il le fera de belle manière. Il est bien entouré et a reçu de l’amour à revendre. Il a de quoi faire face.

    Répondre
    • Merci d’être passée lire. Ce texte aurait bien besoin d’être retravaillé. Mais j’ai eu envie de l’écrire d’un seul jet de coeur, pour digérer, un peu. Et oui j’espère qu’il trouvera voie et voix. Je t’embrasse bien fort

      Répondre
  3. Un très beau texte, fort et poignant… qui reflète bien l’impossibilité que l’on a parfois –souvent ? – à s’exprimer et à s’affirmer face à certaines personnes. Bravo !

    Répondre
  4. « Fais tout péter, cries, plus fort, fous le camp »…les mots écrits par un ami la semaine dernière ! C’est parfois la seule solution pour faire savoir qui l’on est !
    Le texte est poignant, il fait écho à des situations vécues…

    Répondre
  5. J’espérais que ce ne soit pas entièrement autobiographique, mais à la lecture des commentaires, il semble que oui ..
    Lis lui ce texte.
    C’est important de lui parler. Tu as évacué ta colère grâce aux mots, tu peux aussi apaiser en lui faisant lire.

    Répondre
    • Il y a forcément une part de subjectivité et de fiction, mais tout est parti d’un truc terrible vécu il y a une dizaine de jours.
      On en a beaucoup parlé, j’ai mis pris parti pour lui, devant lui
      Mais je vais lui faire lire ce texte, oui 😉

      Répondre

Laisser un commentaire