Une photo, quelques mots (98)

voilier

© Claude Huré

    Certes, c’était un pari dingue ; certes, il avait toutes les chances de ne pas aboutir. Mais Laurent avait surtout une infinité de bonnes raisons de le faire. Et surtout, plus rien à perdre.

    Partir seul, loin de tout. Echapper à ce monde pétri de mauvaises volontés et empêtré dans de mauvais choix. Voguer loin, droit devant comme si la vie en dépendait.

    Laurent avait tout plaqué. A son réveil, Julia ne trouverait qu’un post-it sur le frigo : « Je suis parti, je t’aime. Laurent. »

     Elle ne lui en voudrait pas. Elle se contenterait d’aller rejoindre le petit dans son lit et de se réchauffer à son corps endormi et paisible.

     A bord de ce voilier, loué pour quelques semaines, Laurent pensait à ceux qu’il avait laissés. Mais ce n’était pas sa faute. On ne lui avait guère laissé de choix. Condamné… voilà le seul mot qu’il avait retenu de sa visite à l’hôpital.

     Partir en petits morceaux auprès d’eux, impossible ! Mais il vivait dans un pays où l’on n’avait d’autre choix que de souffrir jusqu’à l’agonie ou de mettre soi-même fin à ses jours avec autant de dignité que l’on pouvait.

    Alors il finirait en beauté avant l’ultime traversée.

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30 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (98)”

  1. Ton texte me rappelle un film sur ce thème avec Albert Dupontel. 3 jours à tuer je crois. Un thème fort. Três belle interprétation de cette photo. Comme une ultime traversée… bisous

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  2. Wow … hum, duraille là … Et le savoir en mer quand viendront les signes de la maladie, brrr … Compliqué d’accepter ça, mais tu l’écris très bien en étant très floue (la femme qui retourne auprès de la chaleur d’un enfant … L’image est belle.)

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    • J’ai un peu galéré en me demandant ce qui serait vraisemblable ou non. Mais je voulais surtout laisser l’image du droit à décider de l’endroit où l’on va mourir, de la manière d’affronter les derniers jours, de l’image que l’on souhaite laisser de nous.

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  3. Nous mériterions tous un vrai débat autour de cette question et ne pas déguiser en accident ce que nous pourrions faire dignement….
    Laurent pense que ce sera plus facile pour Julia d’accepter sa mort en mer à sa mort sur un lit d’hôpital…Je trouve très violent le fait qu’elle n’ait rien à dire à ce sujet….Mais peut-être qu’elle sait et qu’elle a accepté son choix ?…..

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    • Oui, je pense que son attitude douce quand elle rejoint l’enfant au chaud du lit montre qu’elle n’a pas été écartée en amont de cette décision.

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  4. Ouch … c’est rude …
    Le sujet est grave mais l’histoire est belle…. même si elle reste seule avec son môme et ses questions, sa peine et que tout le monde souffre … Je suis comme Bénédicte, c’est un beau texte qui pose débat ! Merci !

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    • Ses questions ? Non, je pense que si elle ignorait à quel moment, il partirait, elle savait qu’il le ferait. Et elle respecte, c’est certain.

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  5. Ah oui, bonne et rude idée.
    J’ai un mort moi aussi, c’est drôle.
    Mais dans des circonstances moins émouvantes.

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    • J’ai été débordée hier, il faut que je me trouve une heure pour venir lire les textes de cette semaine. C’est super de nous avoir rejoints !!

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  6. Oh le pauvre… Je comprends son choix ! Voir le monde avant son ultime traversée du tunnel ! C’est beau, bien amené, bien écrit ! Merci !

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  7. Terrible réalité si joliment écrite. Bravo pour avoir su, en si peu de ligne, faire passer autant d’émotion. Ce texte m’a profondément touchée. Bravo Stephie !

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  8. Ton texte bouleverse, certes. Le départ en bateau se prête bien au symbole du voyage ultime. Le choix du moment et de la manière nous laisse un petit peu l’impression d’avoir notre mot à dire face à l’inéluctable. C’est peut-être ça la dignité.

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    • Oui et on devrait y avoir droit, à cette dignité. Merci pour ta photo et merci pour tes mots chaque semaine. Ils sont précieux.

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