On ne pouvait imaginer une rentrée littéraire sans Pierre Lemaitre. Et là, où par contre, je ne l’attendais pas, c’est dans un
changement de registre. En effet, dans ce roman, pas de meurtre, pas d’enquêteur. L’auteur nous offre un roman historique et non un thriller.
Tout commence de manière percutante : le jeune Albert Maillard, poilu de la Première Guerre Mondiale, est poussé par le lieutenant Pradelle sous un tir d’obus. L’explosion est telle qu’il se retrouve enterré vivant face à une tête de cheval mort… C’est donc impuissant qu’il sent l’air se raréfier autour de lui et ses dernières minutes arriver. Par chance pour lui, Edouard Péricourt passe par là et vole à son secours. Malheureusement pour ce dernier, un éclat d’obus l’atteint et le blesse grièvement. Il va devenir ce qu’on appelle une gueule cassée. Lui devant sa survie, Albert va donc tout faire pour l’aider au quotidien, allant jusqu’à braver la loi, cédant à la demande de son camarade d’être déclaré mort. Mais cet infâme Pradelle va rester dans leur sillage… bien plus qu’ils ne l’auraient cru.
Tout ce roman repose sur le récit des escroqueries ayant eu lieu autour des morts de cette guerre. Pradelle, lui, va bâtir sa fortune sur le rapatriement des corps vers leur famille et ce, au mépris, de toute éthique. Et Edouard, doué pour le dessin, va proposer à son comparse une formidable escroquerie… Mais laissons là un peu de suspense.
Le talent de l’auteur repose une fois encore sur son art inégalé à nous proposer des retournements de situation. Il sait tenir son lecteur en haleine et le mène avec lui sur presque 600 pages, sans un seul moment de lassitude. Mais l’auteur va plus loin qu’à son habitude dans la mesure où il excelle non seulement dans la profondeur qu’il donne à ses personnages mais également dans l’intérêt historique de ce roman.
Ce n’est pas le premier roman que je lis sur la première Guerre Mondiale mais c’est de loin, l’un des meilleurs. J’y ai été de nouveau retournée par la dureté de la condition de ces hommes qui ont perdu leur visage et sont devenus de véritables monstres, ne se supportant plus et incapables, le plus souvent, d’affronter le regard de leurs proches. Edouard Péricourt m’a donc ainsi profondément touchée, dans sa souffrance, dans son addiction à la morphine puis à la drogue. Mais ce personnage est aussi l’artiste qui a préféré disparaître plutôt que d’affronter le regard du père sur son visage mais également sur son homosexualité. Il y a d’ailleurs un attrait pour le masque très intéressant dans ce roman et qui porte à lui tout seul toute la symbolique du roman, il me semble.
Albert est un personnage très intéressant également en ce qu’il représente celui que tout le monde considère comme le doux, le faible, le suiveur. Et pourtant, malgré la voix de sa mère qu’il entend en permanence – et qui est la grande absente de ce roman, paradoxalement – il va mener d’une main de maître ce retour à la vie (alors qu’il a tout perdu) et va assumer celui à qui il doit la vie, à ses dépens.
Pradelle, lui, est le symbole de ceux qui font fortune sur des charniers. C’est l’opportuniste par excellence. Une anecdote du départ de l’intrigue, à laquelle est mêlée la sœur d’Edouard venue récupérer le corps de ce frère qu’elle croit mort, va assurer sa fortune, son mariage et son placement dans la vie mondaine. C’est ce genre de crapule qu’on déteste mais qui fait partie de ces excellents personnages de roman.
Je pourrais vous parler à l’infini de cet excellent roman que je verrais bien recevoir le Goncourt des Lycéens (en tout cas, j’espère qu’il sera conseillé en masse dans les lycées). Je vais me contenter de saluer tout de même le style de l’auteur qui offre un roman ciselé maniant les belles trouvailles de mots et de phrases et aidant à merveille un regard affuté et cinglant sur une de ces périodes où l’homme n’a eu de cesse de se construire sur les ruines des autres, n’hésitant pas à fouler au pied souffrances et dignité d’autrui.
Livre lu dans les cadres des et entrant dans le challenge
Bonjour Stephie, d’abord, bravo pour ce nouveau blog et son titre et sa bannière (très belle). Concernant ce roman, pas encore lu mais ce n’est qu’une question de temps. Je n’ai lu et entendu que du bien à son propos. Bonne journée.
Merci beaucoup ! Et vite vite, vite, c’est LE roman à lire. Qui sait ? Peut-être un Goncourt ?
j’aime bien (re)lire tes chroniques quand j’ai lu le roman…je ne me souvenais pas de celle-là mais je retrouve bien ce que j’ai ressenti…c’est vrai que pour parler de la guerre 14-18 aux lycéens, il est parfait!
Bon, ceci dit, je me suis trompée de Goncourt… Il a eu celui des grands 😉