Une photo, quelques mots (14)

pont

 

© Romaric Cazaux

    Bientôt l’heure. Celle du rendez-vous quotidien ! L’heure bénie où je te vois traverser ce pont… mais où tu ne me vois pas. Depuis que tu as décidé que ce n’était plus possible, depuis que j’ai accepté que ce n’était plus possible, je m’accorde cet instant volé, cette opportunité de te voir encore un peu, de loin, traversant ce pont comme tu as traversé ma vie… d’un pas assuré, sans te retourner.

    J’aime ce moment qui n’appartient qu’à moi, cet instant éphémère où, à ton insu, tu n’appartiens qu’à moi, toi l’homme qui ne m’appartiens pas.

    C’est le moment rêvé pour te parler, ô toi qui ne m’entends pas, toi qui ne me vois pas, toi qui ne me ressens pas. Je te raconte mes instants sans toi, mes pensées pour toi, mon amour de toi. Les jours passent mais la peine ne s’atténue pas… elle semble même enfler, s’installer… elle nécrose mes chairs, elle oxyde mon air, annihile mon univers.

    Je sais bien que je ne devrais pas me poster là… que je devrais avancer, comme ils disent… eux tous à qui je ne peux plus parler de toi. Ton nom semble destiné à tomber dans l’oubli, comme notre histoire au goût terreux du délit. Tout en moi s’arrache et crie à l’infini… tout en moi se retourne, se débat et se consume.

    J’ai péché de t’avoir trop aimé… et je le paie, enchaînée à notre passé… auquel je suis seule, encore amarrée.

    Voilà, tu es passé, déterminé, engagé dans cette fuite en avant que je ne peux encaisser. Alors je reviendrai demain, à la même heure, espérant qu’un jour, je trouverai l’air nécessaire pour m’envoler vers d’autres sphères.

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13 réflexions au sujet de “Une photo, quelques mots (14)”

  1. Je trouve ce texte superbe ! L’émotion de cette femme amoureuse d’un souvenir … Quelle délicatesse dans ces sentiments douloureux ! Bravo !

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