Voilà un petit roman qui s’est embarqué chez moi et n’est même pas passé par ma PAL. J’avais déjà noté cet auteur chez Leiloona : elle m’a prêté Présent ?, mais elle a également lu celui-ci et Laver les Ombres. Et puis, il y a quelques jours, apparaît cette couverture sur le blog de Moka. Je l’ai commandé et lu sitôt arrivé, quasiment d’une traite. Il a accompagné ma journée et rempli tous ses petits moments de vide.
De quoi ça parle ?
La Varienne et sa fille Luce habitent toutes les deux, un peu à l’écart des autres. Luce ne cesse d’entendre les autres traiter sa mère d’abrutie, de demeurée. La petite fille est peinée de l’attitude de ces gens. Mais sa mère et elle n’ont pas besoin d’eux pour vivre, elles se complètent et évoluent dans un univers silencieux et comme hors du monde.
Mais il va falloir scolariser Luce et on perçoit l’inquiétude de la Varienne face à ce changement. Et si Luce décide de lutter à sa manière contre cette intrusion dans leur univers clos, Mademoiselle Solange l’institutrice va se lancer à corps perdu dans l’éveil de la fillette. Elle pense que lui offrir les mots est le plus beau cadeau qu’on puisse lui faire. Mais le village pense que la petite est aussi demeurée que sa mère. Mais la question qui se pose est celle de savoir ce dont Luce a réellement besoin.
Ce que j’en ai pensé :
J’ai vraiment été conquise par le style de l’auteur. L’histoire m’a certes beaucoup touchée mais j’ai été littéralement portée par la beauté de l’écriture.
En effet, l’écriture est terriblement poétique. L’auteur manie la langue à merveille. Elle alterne phrases simples et phrases complexes, parsème de phrases nominales. Tout cela pour créer un style haché mais émouvant. Le texte est fragmenté en petits paragraphes très courts conférant au texte une impression d’éclatement. Le présent de narration est si violent qu’il flirte avec le présent d’énonciation. J’aime découvrir de nouvelles écritures car je suis bien plus sensible à l’écriture qu’à l’intrigue.
L’histoire est également très touchante ceci dit. Les personnages sont taillés sur le vif et nous collent à la peau. J’ai aimé le courage de cette enfant qui choisit de lutter contre l’apprentissage car elle pressent que cela va l’éloigner du monde de sa mère. J’ai aimé cette institutrice et sa passion de l’enseignement, même si ses choix vont se révéler tragiques. Et j’ai aimé la manière dont finalement Luce va s’éveiller aux mots et à l’écriture : signe qu’il n’existe pas qu’un seul moyen de s’instruire.
Ceci dit, je me pose vraiment une question : La Varienne ne serait-elle pas plutôt sourde que demeurée ? Le récit n’étant pas daté, je pense que l’on peut se poser la question. Car les sourds ont longtemps été traités comme des simples d’esprit. De plus, elle ne peut s’exprimer que par grognement et le thème du silence est très prégnant dans le texte. Le début décrit d’ailleurs un monde fait de sensations, notamment le toucher et les couleurs. Aucun son ne s’échappe de ce livre et il n’y a aucun dialogue, que des paroles rapportées. Alors, à votre avis ?
Quelques citations :
J’ai dû trier car j’aurais presque recopié le livre entier.
* « L’objet est un théâtre à lui tout seul. »
* « Le silence entre elles deux tisse et détruit le monde. »
* » La mère et la fille, l’une dedans, l’autre dehors, sont des disjointes du monde. »
* « Luce n’apprend rien, Luce ne retient rien. Elle fait montre d’une qualité d’oubli très rare : un don d’ignorance. »
* » Elle mesure qu’elle est et restera seule, celle par qui le savoir arrive. Et comment désormais ne pas se demander si c’est un bonheur ou un malheur pour chaque enfant d’apprendre ? Il faudrait toujours se poser cette question avant de les obliger à s’asseoir, à écouter, à répéter. Elle ne pourra plus jamais être innocente. »
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